Témoignage d'un entrepreneur désespéré par son Pays

Publié le par touchepasamonpanneau.over-blog.fr


Monsieur Le Député,

J’aimerais vous apporter mon témoignage de chef d'entreprise engagé dans les énergies renouvelables depuis maintenant 15 ans. Mon engagement dans le solaire n'est pas mu par des considérations politiques ni fiscales, il tient au départ à une passion pour l'Afrique et l'humanitaire : le solaire est la seule source d'énergie dont certains peuvent disposer, dans le cadre de programme d'aide bi ou multilatérale, ce dont j’ai eu la charge. Il s'est affirmé avec l'émergence d'une classe d'entrepreneurs, en Allemagne et aux Pays-Bas, rencontrées lors de mes déplacements internationaux – fréquents au début car le marché français n’existait pas. Le démarrage des ER s’est ouvert en France avec la loi de modernisation du secteur électrique, votée en 2000. Depuis 2002, en France, j'ai pu faire des projets éoliens, du solaire, de la micro-hydraulique ; j'ai créé 50 emplois ; j'ai dépanné fiscalement de nombreuses communes rurales "engluées" dans un déclin inexorable - bref, j'ai le sentiment d'avoir fait œuvre utile. Ce fut très compliqué, la technostructure n’ayant jamais compris l’intérêt politique à nous soutenir.

 

Depuis 2007, nous pensions partie gagnée. Le Président avait tracé une route ambitieuse, parfaite. Son discours en juin 2009 au Bourget du lac, devant tous les professionnels du secteur fut un modèle du genre - du niveau de celui de Chirac sur le Vel d'Hiv : la reconnaissance des fautes de l'Etat français à l’égard des ER. Aujourd'hui, nous sommes au bord de la rupture. Nous sommes conscients de tous les arguments qui nous sont opposés (coût, importation, spéculation, etc...). Il y a beaucoup à dire et expliquer mais ce n'est pas le lieu (pour les plus curieux :www.tpamps.fr). Le mieux aurait été la constance et l'écoute de ce que nous avions à dire. Ce qui se passe est grave, il s'agit d'un naufrage. Voici l'histoire. J'ai rencontré Fred Jung, un entrepreneur allemand en 2001. Fred Jung a créé JUWI en 1996 (le « JU » de JUWI). Il développe des projets, comme moi. Quand je l'ai rencontré il a avait une cinquantaine d'employés, moi une petite dizaine. Aujourd'hui, JUWI c'est 1000 employés « cols blancs » et 1 Milliards d'euros de CA. Moi, je n'ai pas sur faire mieux que cette cinquantaine d'employés. En Allemagne il y a des dizaines de sociétés comme JUWI – sans compter les centaines de milliers d’emplois en amont, dans l’industrie. Je vous mets au défi d’en trouver une seule en France. Les plus vieilles - plus vieilles que JUWI comme La Compagnie du Vent, Valorem ou Eole-RES compte une centaine de salariés. En Allemagne, le solde de la balance commerciale dans les ER est ultra positif, leurs produits inondent le monde : ils parlent de parité réseau pour 2015 en Allemagne et 2013 en Italie. Nous en France, inutile de vous dire que le solde est négatif. Le résultat de l’inconstance française et les visions à courte-vue de nos politiques, doublée de l'incompétence de la technostructure, est là : les PME françaises du secteur, qui étaient innovantes il y a encore dix ans, sont laminées, dépassées, écrasées, humiliées...

 

La décision absurde de M. Fillon et Mme Lagarde, doublée d’une campagne de désinformation véritablement criminelle, de stopper le solaire en raison d’une défaillance administrative majeure (l’administration ne sait plus compter les projets qu’elle a suscitée, séparer le bon grain de l’ivraie, perdue dans le dédale des règles « à la française » les plus absurdes au monde qu’elle a inventé) vient en rajouter une couche, certainement fatale. Leur décret nous oblige à 9 mois d’arrêt complet de notre activité, sans parler des clients inquiets et des coûts échoués considérables. Il est de bon ton aujourd’hui de s’alarmer de la faiblesse du tissu de PME française et du décrochage avec l’Allemagne. Inutile de chercher plus loin. La pilule est d’autant plus amère que ceux qui ont vraiment « salopé » notre secteur sont ceux qui ont vendu de la défiscalisation solaire à grandes eaux. Il était pourtant si facile de leur dire – dès l’invention du bouclier fiscal – d’aller voir ailleurs, dans des secteurs non aidés ou moins soutenus que le notre. J’ai encore en mémoire le travail de ce jeune Populaire du Var, se vantant de ses réseaux au gouvernement, qui a monté une boîte dans le solaire en affichant « vos toits valent de l’or » axée uniquement sur un discours de défiscalisation hallucinant. Je doute qu’il se soit interrogé un seul instant sur les problèmes énergétiques mondiaux, sauf les jours où son jet-ski tombait en panne.

 

Voilà pour mon témoignage. Je remercie le Gouvernement et tous ceux qui ont pris le solaire pour la française des Jeux. Bonne chance à l'UMP en 2012. J'oubliai : les premiers clients des projets solaires en France sont les agriculteurs. Ils sont aujourd'hui les plus impactés. Ils sont en colère. Nous le savons d'autant plus que nous travaillons dans l'Aveyron, la région de Dominique Barreau... qui a des toits solaires que mon installateur a réalisé pour lui.

Je n’ose espérer que vous ayez le courage, cette semaine, d’arrêter cette machine folle lancée à vive allure, créée par la technostructure et la bureaucratie, pour le plus grand bénéfice d’entreprises émargeant au CAC40 qui asphyxient littéralement le pays. Certains s’y emploient, de droite comme de gauche : lucides et courageux. Il est temps que le politique reprenne ses esprits et dicte ce qu’est l’intérêt général : PME dynamiques et autonomes, immergées dans leur temps et leur territoires, ou fragments de sous-traitance de grands groupes financiarisés et nomades ? A ce titre, une seule question : comment sommes nous arrivés à cette situation où M. PROGLIO, devant les sénateurs, représentation nationale, peut affirmer sans se faire reprendre qu’EDF n’a pas à être la Banque de ces énergies locales et marginale (Bloomberg, 21/01/2010) alors que la loi a décidé de longue date que c’était dans le cadre de ses missions de services publics ? L’intérêt général a été bradé pour 2 Millions d’euros.

Souverainement vôtre,

 

Pierre-Emmanuel MARTIN

PDG

TERRE ET LAC – LYON

pe.martin@terreetlac.com

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